2.2 Fin du Monde

Imaginez: un ciel nocturne incandescent de centaines de milliers de feux d'artifices aux couleurs protéiformes et aux apparences fantasques. Tout le peuple lâché dans les rue. C'est le carnaval, la fête suprême : ENFIN, ON Y EST !

Voilà enfin venu la nuit de la fin du monde...

Des scènes ont étés expressément montés en tous lieux pour cette occasion unique, offrant la voix à des artistes artistes de tout bord, de tout milieux, donnant libre cours aux performances et à l'expression humaine, où tout le monde peut joyeusement se convier, exprimant dans cette créativité l'ode de la délivrance ultime. La grande révélation. Après la révolte, les drames et tragédies, les émeutes, la violence, l'heure est aux bacchanales. Les gouvernements de l'ombre ne sont plus. Les forces de l'ordre ont rendu les armes afin de se convier à la manifestation festive. Des ressources humaines, une prodigieuse logistique a été instantanément puisée et déployée pour ce grand événement : toits, nourritures, approvisionnement énergétique, sécurité, justice, réconfort, tout est encadré.

La chimère des milles illusions est tombée. Le cri des milliards d'indignés retentit et devient le cri de territoire conquis accompagné d'un parfum de triomphe. Tout est glorieux. L'aube approche, la longue et dure nuit touche à sa fin. Cette nuit millénaire qui a assujetti l'espèce humaine et tout le reste du vivant, qui les avaient jusqu'alors réduits au statut de simples combustibles. Était-ce là tout ce que l'on représentait jusqu'alors pour ces vieux chimpanzés-pensant des sommets : de vulgaires esclaves, des piles humaines, vivantes ? Seulement voilà : le grand château de cartes s'est effondré de lui-même.

Des regroupements et de nouvelles formes d'agencement, d'organisation alternative se font jour, émergeants des marges de la société et rendu possible grâce à l'Internet. Normes, tabous, mensonges se dissolvent au profit de la vérité et de la liberté comportementale. Le travail de nos ancêtres porte enfin ces fruits : la nouveauté et la création deviennent finalement possible et même requises. Et alors que face à ce titanesque vide laissé, cet immense navire sans gouvernail, - ce qui a, en réalité, toujours été - émergent de nouveaux potentiels, un fourmillements palpitant de possibles. Les solutions ont toujours étés là, présentes, mais les voilà maintenant exposés aux yeux du monde. Il y en a pour toutes les appréciations et tout le monde : tout est possible, tout est permit.

L'anarchie, qui loin d'être le chaos, mais la forme la plus sophistiqué d'ordre naturel, déploie tout son potentiel, ses formes structurantes aux capacités prodigieuses. Une pluralité de mondes possibles s'offre à nous.

C'est l’événement de l'Histoire : la fin de l'Histoire, la fin d'un monde tragiquement archaïque, dépassé, sauvage et primitif, brutal - le début de la nouvelle planète, le monde civilisé. Jamais cela ne s'est connu sur notre Terre. Un monde fait pour durer, un monde... éternel.

Il est finalement permit de s'arrêter et prendre le temps de lâcher un soupir. Au revoir la finance, la compétition, la politique et ses marionnettes, la course à l'armement, au revoir le gaspillage et la destruction absurde. Bienvenue dans un univers de paix. Des monde nouveaux à découvrir, des mondes à vivre et explorer. Des jardins d'Eden profondément bienveillants, dont la plus absolue des priorités n'est que le soin et le cajolage de chacune de ses parcelles, des plus infimes aux plus grandioses.

Voilà les rêves que l'évolution, l'imagination de l'Etre à toujours espéré et attendu. Ce sont les utopies.